EXPRESSION ORALE : L’ARGUMENTATION

expression_orale_10L’article suivant s’inspire de l’excellent ouvrage de Philippe Breton :

« L’argumentation dans la communication », aux Editions La Découverte (4ème édition 2006)

La qualité d’une intervention orale dépend du charisme, de la conviction, de la sincérité, et de l’argumentation.

Philippe Breton distingue quatre grandes familles d’arguments :
les arguments d’autorité, les arguments de communauté, les arguments de cadrage et les arguments d’analogie.

 I/ LES ARGUMENTS D’AUTORITÉ

Les arguments d’autorité se décomposent eux-mêmes en quatre catégories :
la délégation du pouvoir, l’autorité et la confiance, l’expérience et le témoignage

A/ La délégation de pouvoir
Référence à une autorité considérée comme détenant le savoir incontestable dans le domaine en question :
« Le professeur X dit que… »

B/ L’autorité et la confiance
Les media. C’est vrai puisque c’est écrit.

C/ L’expérience
« Moi-même, je peux vous le dire parce que je possède dix ans d’expérience dans ce domaine. »

D/ Le témoignage
« Je suis allé voir dans ce pays ce qu’il en était et… »

Pour l’orateur, l’argument d’autorité est à utiliser avec discernement car, s’il peut dans certains cas étayer valablement un discours, il peut aussi constituer une manipulation autoritariste de l’auditoire et cacher une faiblesse dans la logique de l’exposition. Pour l’auditeur, il est à recevoir avec circonspection pour les mêmes raisons.

II/ LES ARGUMENTS DE COMMUNAUTÉ

Les arguments de communauté s’appuient sur des présupposés communs du groupe ou de l’auditoire auquel on s’adresse. Selon Philippe Breton, trois types d’arguments de communauté peuvent être distingués :
les opinions communes, les valeurs, les lieux.

A/ Le recours à l’opinion commune
L’argumentation s’appuyant sur les opinions communes utilise souvent les proverbes. Justifier un soupçon porté sur une personne pourrait s’appuyer sur « Il n’y a pas de fumée sans feu. », illustrant simultanément la faiblesse de l’argument.

B/ L’affirmation de valeurs communes
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L’argumentation sur les valeurs communes se réfère souvent à une valeur habituelle, utilisée sans appréciation mesurée, pour justifier une opinion ou une action. Les gouvernements utilisent fréquemment « la justice » pour faire adhérer à une mesure fiscale, sociale ou budgétaire, ponctuée par le sempiternel « c’est plus juste » sans que l’on sache sous quel aspect « c’est plus juste. »

C/Les lieux
Les arguments de lieux sont plus délicats. Ce sont des valeurs perçues d’une façon plus générale, plus vague, plus abstraite. Parmi plusieurs approches, voici deux exemples de lieux :

1/ Lieu de symétrie
« Je ne parviens pas à comprendre comment la mendicité est un délit dans un pays où la charité est une vertu. » (Propos repris par L. Olbrechts-Tyteca, cité par Perelman, puis par Breton).

2/ Lieu de « l’ordre du monde »
Il faut préserver « l’équilibre de la nature » dit-on dans bien des discours écologiques.

III/ LES ARGUMENTS DE CADRAGE

Les arguments de cadrage consistent en fait à une réorganisation du monde, à la construction d’un nouvel univers de référence par l’orateur pour son auditoire. C’est la création d’un nouveau monde avec de nouveaux points de repères.

Dans cette création d’une nouvelle perception des choses, des éléments sont amplifiés, d’autres diminués, pour servir le propos de l’orateur.

Les arguments de cadrage comprennent eux-mêmes cinq catégories :
la définition, la présentation, l’association, la dissociation, l’argument quasi-logique.

A/ La définition :
Elle consiste à redéfinir une problématique sous un aspect nouveau pour l’auditoire. Il s’agit d’une définition rhétorique et expression_orale_11
non d’une définition objective ou scientifique.
Exemple : Robert Badinter redéfinit la peine de mort sous une perception concrète pour éviter que les juges n’en considèrent que l’aspect abstrait. « Guillotiner, ce n’est rien d’autre que prendre un homme et de le couper, vivant, en deux morceaux. » (Procès de Patrick Henri).

B/ La présentation :
Elle est une forme de cadrage qui amplifie certains aspects d’un sujet ou d’une problématique et en minore les autres aspects afin de convaincre un auditoire en portant son unique attention sur les aspects amplifiés et en lui faisant oublier les autres aspects.
Exemple : « La démocratie est une dictature contrôlée par quelques individus dont les électeurs sont les complices « (Raymond Proulx).
Il est clair que cette critique de la démocratie ne s’appuie que sur l’un des aspects de dérive de la démocratie.

La présentation comprend elle-même quatre variantes :

1/ L’amplification :

Elle consiste à insister longuement sur certains détails du sujet évoqué ou à en répéter les composantes sous des formes différentes. Exemple : A la suite du Brexit, Bernard Henry Lévy a écrit dans le Monde :

« Ce Brexit, c’est la victoire, non du peuple, mais du populisme. (…) C’est la victoire, autrement dit, du souverainisme le plus rance et du nationalisme le plus bête. C’est la victoire de l’Angleterre moisie sur l’Angleterre ouverte sur le monde et à l’écoute de son glorieux passé. C’est la défaite de l’autre devant la boursouflure du moi, et du complexe devant la dictature du simple. (…) C’est la victoire des casseurs et des gauchistes débiles, des fachos et hooligans avinés et embiérés, des rebelles analphabètes et des néo-nationalistes à sueurs froides et font de bœuf. (…) Ce sera, toujours, la victoire de l’ignorance sur le savoir. »

2/ L’expolition : elle consiste à s’arrêter sur un même point, tout en paraissant exprimer des idées différentes.
Exemple : pour convaincre quelqu’un de ne pas se droguer, on pourrait évoquer :
« L’enfer de la dépendance : l’héroïne enchaîne ceux qui s’y adonnent régulièrement, elle fait perdre toute volonté. On est entièrement soumis à son emprise, c’est elle qui commande, on ne peut plus s’en passer. »
Le sens de ces propositions est globalement le même.

3/ Le chiasme : il consiste à opposer symétriquement deux termes en les inversant.
Exemple : Pascal dit :
« Ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste. »

4/ L’argument de la toute-puissance : c’est une stratégie d’orateur consistant à montrer à l’auditoire qu’il n’a pas vu toute la portée de l’un des points de vue auquel il tient fortement. En étendant la portée de ce point de vue, il en vient à inclure l’opinion qu’on lui propose.
Exemple : Dans son interview sur TF1 du 14 février 2016, Nicolas Sarkozy désire éviter de dire s’il sera candidat ou non à l’élection présidentielle et en revanche conduire le débat à se porter sur un projet collectif de son parti dont, en tant que président du parti, la perspective le placerait en position favorable de rassembleur par rapport à ses concurrents à l’intérieur du parti lui-même. Comment Nicolas Sarkozy s’y prend-il ? Voilà ses propos :

« Je pense que la priorité doit être au débat collectif. Quelle est la question que se posent les Français ? Comment sortir la France de la situation dans laquelle elle se trouve. Oui, le débat doit donc porter sur ce que nous allons faire. »

En prenant à témoin les Français et en leur conférant, par suggestion, le pouvoir de l’intelligence, la toute puissance de l’intelligence exprimée par : … Quelle est la question que se posent les Français ? Comment sortir la France de la situation dans laquelle elle se trouve. … il inclut dans leur acceptation son argument : … Oui, le débat doit donc porter sur ce que nous allons faire. … Et il repousse du même coup la question que l’on souhaite lui poser : … Serez-vous candidat ? Car la question devient secondaire dans l’esprit de l’auditoire par rapport à celle de : … sortir de la situation dans laquelle la France se trouve.

C/ L’association : elle consiste dans la mise en rapport pour établir des similitudes ayant pour objet d’accentuer l’évidence d’une argumentation.
Exemples sur deux assemblages de similitudes ayant des buts contraires sur un même sujet : l’interruption volontaire de grossesse :

expression_orale_12« Le droit à l’interruption volontaire de grossesse et l’aspiration des femmes à ce que leur liberté à conduire leur vie soit reconnue et respectée appartiennent au même combat. »

« L’interruption volontaire de grossesse comme le crime, s’inscrit dans la liste des actes odieux perpétrés par le genre humain. »

L’un des dangers de l’association est de dériver dans l’amalgame qui perd ainsi sa valeur d’argumentation.

D/ La dissociation : au contraire des précédents arguments de cadrage, la dissociation est une méthode qui, à partir d’une notion qui, habituellement, renvoie à un seul et même univers, permet de « casser » cet univers et de générer deux univers distincts. Exemple : Alain Madelin diffracte l’univers global du chômage lorsqu’il le décrit (1995). Première question : « Combien de chômeurs ? Deuxième question : « Combien de vrais chercheurs d’emploi ? »

E/ L’argument quasi logique : Il consiste en un argument proche du raisonnement scientifique, proche de la démonstration. Mais il supporte souvent des exceptions assez larges. Exemple : « Les ennemis de mes ennemis sont mes amis » affirme l’adage stratégique qui voudra convaincre qu’il vaut mieux s’allier avec ceux qui s’opposent à mes ennemis. En 2016, où ces lignes sont reprises de l’ouvrage de Philippe Breton, l’ambigüité de cette forme d’argument apparaît clairement dans le dédale politique des alliances au moyen orient.

A venir… LES ARGUMENTS D’ANALOGIE